Contribution

Plages algériennes entre loi et réalité, L’épreuve silencieuse de l’autorité de l’État

Contribution : Lotfi Yagoubi

À l’orée de chaque été, une réalité revient s’imposer sur les plages algériennes : celle d’un décalage manifeste entre la législation encadrant l’usage du littoral, et les pratiques observées sur le terrain. Une situation qui interroge non seulement la gouvernance locale, mais aussi la capacité de l’État à faire respecter ses propres règles là où il est le plus visible aux yeux de ses citoyens.

Une loi claire, un principe fondamental

Depuis la promulgation de la loi n° 02-02 du 5 février 2002 relative à la protection du littoral, le principe est établi : l’accès aux plages est libre et gratuit. Ce droit est renforcé par les nouvelles dispositions qui limitent les concessions commerciales à 30 % de la surface totale des plages, afin de garantir au moins 70 % d’accès public sans conditions.

Ce cadre vise à organiser l’activité touristique saisonnière tout en protégeant l’intérêt général. Il ne souffre d’aucune ambiguïté.

Ce que les citoyens constatent

Pourtant, sur plusieurs plages, notamment dans les zones les plus fréquentées, des citoyens sont régulièrement confrontés à des formes de privatisation déguisée. Il devient difficile, voire impossible, d’y accéder sans être confronté à des exploitants imposant la location de matériel ou réservant des zones entières. Certains usagers se voient même refuser l’installation libre sur des portions de plage, pourtant non officiellement concédées.

Ces pratiques se font souvent au nom d’une « légalité locale », à travers des concessions octroyées par les communes dans le cadre de procédures administratives. Mais dans la mise en œuvre, la frontière entre l’autorisation et l’abus devient floue.

Une logique de gestion, mais pas à n’importe quel prix

Il ne s’agit pas ici d’ignorer les difficultés de certaines communes, ni de nier le besoin de recettes pour assurer le service public local. Nombre d’élus avancent la contrainte budgétaire pour justifier le recours à la concession de plages. Cela peut s’entendre.

Mais faut-il le rappeler, la rareté des ressources ne peut, en aucun cas, justifier l’érosion d’un droit fondamental garanti par la loi. La gestion économique du domaine public doit rester dans le cadre légal et éthique fixé par l’État, et non céder à une forme de délégation sauvage qui fragilise le lien entre institutions et citoyens.

Une question qui dépasse l’été

Il ne s’agit plus uniquement d’un problème d’organisation estivale. Il s’agit d’une question de souveraineté, de respect de la loi, et de perception de l’autorité.

Quand une loi existe, mais que sa violation devient tolérée, banalisée, voire justifiée, c’est la crédibilité de l’État qui entre en jeu, de manière sourde mais profonde.

Les citoyens ne réclament pas l’impossible. Ils demandent simplement que le droit soit le même pour tous, et que la loi qu’on leur demande de respecter soit, elle aussi, respectée et protégée dans ses fondements.

Une interpellation, sans esprit polémique

Loin de tout esprit polémique, cette situation appelle peut-être une clarification d’en haut. Non pas pour sanctionner de manière spectaculaire, mais pour réaffirmer un principe essentiel : les lois de la République ne sont pas des outils optionnels. Elles s’appliquent dans tous les espaces publics, y compris ceux de détente, surtout ceux que les familles fréquentent avec leurs enfants.

Les plages sont le miroir de la relation entre le citoyen et l’État. Elles montrent, parfois mieux qu’un discours, ce qui est toléré, ce qui est protégé, et ce qui est abandonné.