RÉPRESSION DES MOUVEMENTS DU RIF PAR L’ÉTAT MAROCAIN: La crise qui fait vaciller le Makhzen
Suites à des aveux extorqués sous la torture, plus d’une cinquantaine de personnes parmi lesquels des leaders du mouvement social du Rif (le Hirak) ont été condamnées par la cour de Casablanca à vingt ans de prison.
C’est dire toute l’oppression dont est victime la population du Rif marocain et ce depuis des décennies par le régime marocain et sa police. Dans un rapport publié le 17 décembre 2018, Amnesty International constate de graves violations du droit, avant et durant le procès, l’organisation en question dénoncera a chaque fois les violences commises par le régime marocain contre sa propre population.
Pour rappel, le mouvement social du Rif était derrière des manifestations mettant en cause le régime marocain. Elles dénoncent les fractures opposant la région du Rif à l’État central marocain, qui remontent à l’époque coloniale.
Le mouvement populaire du Rif ou hirak, fait ressortir une vieille crise de l’Histoire, entre l’État et cette région au nord-est du Maroc. Après la conférence d’Algésiras de 1906 – au cours de laquelle l’Espagne et la France partagèrent une influence au Maroc qui souffrait de faiblesses, de divisions et de conflits internes. Une grande partie du nord du Maroc, connu sous le nom du Rif passe sous contrôle espagnol.
Le 21 juillet 1921, une bataille entre l’occupant espagnol et les insurgés du Rif, connue sous le nom d’épopée Anoual, oppose 24 000 combattants espagnols à 5 000 Rifains. Après une bataille féroce jusqu’au 26 juillet, les insurgés rifains ont pu vaincre l’armée espagnole, au prix d’affrontements qui ont coûté la vie à 15 000 combattants. Après la grande victoire remportée par les insurgés du Rif dans l’épopée Anoual, ceux-ci se sont organisés sous le commandement d’Abdelkrim Al-Khattabi. Celui-ci a convié les tribus du Rif à une discussion visant à former un conseil consultatif, qui a élaboré une charte nationale, réclamant l’indépendance du Rif et des autres régions du Maroc de la France et de l’Espagne, ainsi que la formation d’un gouvernement populaire constitutionnel.
Après cette défaite, l’Espagne a décidé d’envoyer une délégation à Abdelkrim Al-Khattabi pour négocier un accord de paix qui, après des négociations difficiles, n’a pas abouti. Abdelkrim Al-Khattabi insistait pour que la charte nationale élaborée soit appliquée, y compris dans sa demande de reconnaissance de l’indépendance de toutes les régions du Maroc occupées par l’Espagne.
Abdelkrim Al-Khattabi a fini par se rendre aux forces françaises afin d’éviter les victimes civiles. Exilé à l’île de la Réunion, il est clandestinement libéré puis emmené en Égypte. Toute sa vie durant, il refuse de retourner au Maroc malgré la signature d’accords d’indépendance, qualifiant celle-ci de formelle compte tenu de sa nature et des compromis du gouvernement marocain avec les ex-puissances coloniales.
La tension entre le Rif et l’État marocain s’est confirmée quelques années après l’indépendance officielle du Maroc, entre 1958 et 1959. Les manifestants ont formulé des demandes de démocratisation de la vie politique et de lutte contre la pauvreté. L‘armée marocaine dirigée par le prince héritier Hassan II et son général Oufkir réprime ces soulèvements avec violence, et fait enfermer près d’une dizaine de milliers de Rifains
Après la répression de 58-59, les rebelles sont descendus des montagnes et sont rentrés chez eux, pleins de dégoût et de colère, avec le même sentiment que leurs parents et leurs grands-parents ont eu lorsque Abdelkrim s’est rendu aux autorités coloniales ».
Ibrahim al-Qadri, historien marocain, dans une interview accordée au Nouvel Arabe, note la continuité dans le vocabulaire employé par le gouvernement central à l’égard des Rifains, fréquemment qualifiés de sauvages, adjectif dont Hassan II a notamment affublé les habitants du Rif et du nord du Maroc.
LE SOUS-DÉVELOPPEMENT DU RIF ET LA COLÈRE CONTRE L’ÉTAT CENTRAL
En raison de ces facteurs, le pouvoir marocain a volontairement puni cette région rebelle pour asseoir son autorité. Depuis le soulèvement de 1958, un décret royal place la région sous étroit contrôle de l’armée, ce qui accentue la corruption endémique et rend toute possibilité d’investissement impossible. Un sous-investissement chronique a induit un sous-développement de cette région. Du fait de l‘absence totale d’établissement universitaire, les familles sont aujourd’hui obligées de payer les frais d’éducation de leurs enfants dans d’autres villes universitaires. La région fait face à un manque crucial d’écoles, en particulier dans les agglomérations rurales (le taux d’analphabétisation à Al-Hoceima est de 53%, contre 36% à Tanger-Tétouan).
La faiblesse des structures de santé et le manque de médecins est criant : la région ne compte que 488 lits et 142 médecins pour 400 000 habitants. De plus, les agences d’entraide et de solidarité nationale ne fournissent pas à Al-Hoceima de centres d’accueil, sociaux ou éducatifs, de dortoirs d’étudiants ou d’établissements de formation professionnelle. La région est l’une des plus touchées par la crise économique au Maroc, du fait d’investissements industriels faibles. À Al-Hoceima, on ne trouve que 95 entreprises industrielles, qui fournissent seulement environ 1093 emplois. La région est marginalisée par l’absence d’activité économique productive. Le taux de chômage était estimé à 46% chez les jeunes diplômés en 2012.
Aujourd’hui encore, l’économie du Rif dépend fortement des transferts internationaux d’argent des travailleurs immigrés en Europe d’un côté et de la contrebande et de l’agriculture de subsistance (dont une partie est destinée à la culture de cannabis) de l’autre.
Plus de 70 associations et syndicats continuent de dénoncer la répression aveugle du Makhzen et réclament une auto-détermination du Rif.
Z.M