D’UNE RIVE A L’AUTRE: L’INTRÉPIDE EMIR

Son adversaire le plus acharné, le maréchal Bugeaud, qui le combattit pendant des années en usant de méthodes peu glorieuses dont les massacres, les enfumades et la politique de la terre brûlée, avait dit de lui : « C’est un homme de génie… ». Une autre fois, il le décrivit comme étant « Une espèce de Prophète… » et lors de sa première rencontre avec lui, il rapporta qu’il était pâle ressemblant assez au portrait qu’on a donné de Jésus Christ ». Descendant du prophète Mohamed, l’Emir qui avait appris par coeur le coran dès son jeune âge et qui était à la fois exégèse, poète, érudit en sciences des mathématiques, de l’astronomie, de la jurisprudence musulmane et du mysticisme soufi, maîtrisait parfaitement le métier des armes et l’art de la guerre. Dès l’invasion du pays par les troupes coloniales, le jeune Abdelkader, fils de Sidi Mahieddine chef spirituel de la Zaouia Kadiria, fut acclamé à l’ombre du célèbre orme à Mascara par les tribus de l’ouest, lui faisant porter le Burnous violet pour mener le saint Djihad contre l’occupant ; Il organisa l’armée, mit en place la fabrication des armes, frappa la monnaie et jeta les bases d’un état moderne ; Durant plus de dix sept ans, il tint tête aux troupes coloniales, leur infligeant revers sur revers, les mettant en déroute à plusieurs reprises, et les grandes batailles d’El-Maktaa et de Ain-Brahim restent d’héroïques épisodes de l’épopée de l’Emir ; Sa bravoure n’avait d’égal que son humanisme et son humilité ; Incapables de le battre sur le terrain, le Général de Lamoricière eut recours à un stratagème perfide et peu glorieux : Il saisit le cheptel, brula les récoltes, s’allia au sultan du Maroc et attaqua la smala de l’Emir, prenant en otage femmes et enfants pour obliger l’intrépide Emir à la reddition. Chevaleresque, l’Emir se rendit pour sauvegarder ces vies. Bien plus tard, les conventions de Genève, notamment l’article 34 de la quatrième convention et l’article 75 du premier protocole additionnel, stipulèrent que la prise d’otages est un acte déloyal et criminel, et une violation flagrante du Droit de la Guerre. Mais même fait prisonnier, l’Emir subjugua rois et empereurs par sa grandeur et son humilité, et tous les honneurs dus à son rang lui furent rendus ;
Exilé en Syrie, ses idéaux de paix, de fraternité entre les hommes et d’humanisme firent école dans tout l’Orient, et l’histoire retiendra qu’il sauva du massacre des milliers de chrétiens maronites ; Il savait que le combat libérateur de son pays allait se poursuivre, et il avait prédit : »Je reviendrai en Algérie soit en triomphe, soit porté par mes petits fils… » ; Aussi, c’est du combat de l’Emir que s’inspirèrent les fils de la Toussaint, et après l’indépendance chèrement acquise, la sainte dépouille fut rapatriée de Syrie en Algérie par Boumediene, que la volonté divine avait choisi pour continuer l’oeuvre de baissement de l’Emir ; Et lorsque le Mufti de Syrie descendit dans la tombe pour recueillir la noble sépulture en compagnie du petit fils de l’Emir, le prince Mohamed El Fatih, ils trouvèrent le saint corps de l’Emir intact et dans un état naturel, comme celui de Hamza à Uhud, à tel point que le Mufti en perdit connaissance…
L’Algérie du temps de l’Emir, fut le premier pays au monde à reconnaître l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique et à signer des accords de paix et de concorde avec eux ; reconnaissante de sa grandeur, l’Amérique lui érigea une ville en son nom ; mais les bateaux qui viennent accoster à la ville d’Oran pour laquelle l’Emir s’est tant battu, n’en voient au large que la stèle chrétienne de Santa Cruz…Mais après Boumediene, d’autres petits-fils rendront à l’Emir sa ville, son pays et sa grandeur, n’en déplaise aux disciples de Bugeaud. Et dorénavant, chaque mât de vigie longeant le Murdjadjo s’écriera : « Ohé du bateau, j’aperçois la statue de l’Emir ! ».

Mohamed Guettaf

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