D’UNE RIVE A L’AUTRE: LES MORTS DÉNIÉS

La colonisation de l’Algérie s’est accompagnée de génocides de tribus entières, de massacres, d’enfumades, de spoliation des terres et de privation des populations autochtones. Durant les guerres avec le voisin Allemand et dès le second empire, les musulmans indigènes d’Afrique du Nord furent avec leurs frères Africains, enrôlés dans les Armées et forcés à se battre pour la métropole. Verdun  témoigne que des centaines de milliers de ces soldats venant de  l’autre rive, sont tombés pour la Métropole. De part leur culture de l’honneur, ces humbles mais courageux hommes, guerriers et fils de guerriers, ne savaient point ce qu’était reculer au combat, et dans leur foi mystique et leur acceptation du destin, il n’y avait nulle place à la peur de la mort. 

 Des décades plus tard, et après l’invasion de la France par la Wehrmacht, l’Afrique du Nord contribua grandement à former  l’Armée de la France Libre, et alors que les Alliés, en un si long  et pénible jour débarquaient en Normandie, la troisième Division d’Infanterie Algérienne prenait l’ennemi à revers par le  Sud et libérait l’Italie. L’histoire retiendra que le premier combattant Français entré à  Berlin était un Algérien. Et au moment où le Monde Libre célébrait la victoire des alliés sur les Nazis, quarante  cinq milles martyrs Algériens étaient massacrés  de l’autre coté à Sétif, Kherrata, Guelma et ailleurs pour avoir réclamé l’indépendance. La seule voie inéluctable qui restait pour les fils de la Toussaint était la lutte armée, et l’aurore de Novembre ne tarda  point à poindre, et ni l’Armée coloniale, ni les transfuges qui avaient trahi les leurs, ni la Légion Etrangère, ni l’OTAN n’avaient  pu venir à bout de tout un peuple insurgé, la révolution était totale malgré le génocide systématique, et le quart de la population se sacrifia  pour l’indépendance. De jeunes génies issus des campagnes, n’ayant fréquenté aucune école militaire, déroutèrent les généraux chevronnés, leur donnant les plus grandes leçons de stratégie et de bravoure, et le sourire auguste et lumineux de Ben M’hidi devant la mort, rayonnera encore et toujours sur l’Algérie.

 Et bientôt, le 05 juillet 1962 ne tarda pas à effacer celui de 1830, et les valeureux combattants de l’ALN, défilèrent fièrement dans les allées des villes d’Algérie  dans la

liesse populaire, au milieu des you-yous et des drapeaux verts et blancs maculés du  sang encore vif du Chahid.

Si le fait colonial fut un triste épisode de l’humanité, il n’en demeure pas moins qu’hommage est à rendre aux hommes justes,  roumis ou juifs, qui ont fraternisé avec les indigènes, pansé leurs blessures, partagé le pain et la peine avec eux, embrassé leur culture, défendu leur cause et rallié leur combat. De ceux-là, Isabelle Eberhardt, Etienne Dinet, Pierre Ghenassia, Maurice Audin, Cholet ou Frantz Fanon appartiennent  désormais à la mémoire collective de l’autre rive,  et font partie de ses chantres et héros. 

  Mais aujourd’hui,  et alors que les clameurs se soient tues, que les plaies se soient refermées, que l’implacable   temps ait  fait son œuvre, par quel détour de l’histoire, les innombrables morts de l’autre rive eussent été  oubliés, et que leur mémoire soit déniée ?  

 L’espoir de voir aujourd’hui se tisser une amitié pérenne entre les peuples des deux rives bute à chaque fois sur  l’égoïsme des uns et la rancœur des autres, et le pardon des uns attend toujours l’hypothétique repentance des autres. Dans la culture austère des hommes de la rive sud, le sang vermeil est synonyme d’honneur, et l’affront du sang épandu ne peut être lavé que par la repentance. Mais l’histoire finira par charrier dans son sillage les retardataires s’étant vainement opposés à  son cours et n’ayant  pas eu  le courage de l’assumer. Et tout compte fait, elle ne retiendra d’eux même pas les noms, et de leurs pérégrinations même pas le souvenir

 Quant aux descendants des hommes humbles que l’histoire a déportés sur l’autre rive, ne gardant de leurs origines que la foi et l’honneur, et s’ils peuvent être fiers de leurs héros d’hier et d’aujourd’hui, ils ne sont nullement dupes de quelle rive,  de quelle contrée reculée brûlée par le soleil ardent, serait venu le légendaire soldat inconnu. 

Ceux  nobles attachés à la terre noble de la rive sud, ne descendront point des étriers de leurs chevaux barbes, ni déposeront l’écu de Massinissa, et continueront à toujours scruter de derrière la visière de leur armures d’acier, le lointain firmament.

 Abdennacer GUETTAF

 

 

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