Accords d’Evian: les négociateurs algériens ont fait montre d’un sens aigu de la diplomatie
Les membres de la délégation de négociateurs algériens ayant participé aux Accords d’Evian ont fait montre d’un sens aigu de la diplomatie et d’une détermination à toute épreuve découlant de leur foi inébranlable en la légitimité de la cause algérienne et du droit du peuple à l’indépendance et à une vie décente, ont indiqué des spécialistes des affaires politiques et diplomatiques.
Pour le moudjahid et ancien diplomate Noureddine Djoudi, les dirigeants de la Révolution de libération nationale « se sont fixé un objectif éminent lorsqu’ils ont décidé de mener des négociations avec la France, celui d’amener cette dernière à accepter l’idée d’une indépendance totale en dépit des multiples manœuvres auxquelles s’est livré le négociateur français pour garder le Sahara algérien ».
Dans un entretien à l’APS, à l’occasion du 60e anniversaire des Accords d’Evian, M. Djoudi a jugé nécessaire de replacer ces accords dans leur juste contexte, car, a-t-il dit, le colonisateur a d’abord tenté d’imposer ses conditions, notamment à Melun, en voulant forcer les Algériens à déposer les armes pour un cessez-le-feu et en tentant de séparer le Sahara du reste de l’Algérie. Mais grâce à la détermination sans pareille des négociateurs algériens, à leur sens aigu de la diplomatie et à leur habileté dans la négociation et le dialogue, la partie française a dû s’asseoir à la table des négociations avec ceux qu’elle qualifiait de terroristes et de fellagas, a-t-il ajouté.
Lors de ces négociations, le colonisateur français ne s’attendait pas à avoir face à lui des hommes de cette trempe, à leur tête Krim Belkacem. Des hommes perspicaces doués d’un sens aigu de la diplomatie et rompus à la négociation de questions sensibles, a poursuivi M. Djoudi, citant les propos de Saad Dahlab au négociateur français qui l’informait de la décision de De Gaulle de séparer le Sahara de l’Algérie: ‘Je suis Algérien et vous devez accepter l’indépendance totale de l’Algérie, faute de quoi nous poursuivrons la lutte. Rapportez ce que j’ai dit à votre président’.
Parmi les facteurs de succès des négociations d’Evian, qui étaient essentiels dans le processus d’indépendance de l’Algérie, le moudjahid a mis en avant la grande connaissance que le négociateur algérien avait de la situation interne de la France, notamment ses problèmes économiques, ainsi que la capacité de la diplomatie algérienne à isoler la France sur le plan international, forçant De Gaulle à acquiescer aux exigences des Algériens et à leur détermination à arracher l’indépendance.
Pour le politologue Si Bachir Mohamed, la Guerre de libération « pendant la période des négociations a retrouvé une partie de sa force et consolidé son image à l’étranger, ainsi que ses capacités militaires et politiques à l’intérieur, outre le facteur humain qui s’est caractérisé par l’ingéniosité et l’efficacité dans la gestion de tous ces aspects, ce qui a contraint la France à accepter l’indépendance de l’Algérie ».
La France coloniale était face à des hommes qui « voulaient à tout prix l’indépendance de leur pays », ce qui signifie, selon lui, « une connaissance de la psychologie du négociateur français et une bonne lecture des données du contexte international, de la situation interne française et des équilibres de guerre, ainsi que des priorités des négociations dont la base fondamentale était l’indépendance de tout le territoire dans les limites géographiques de la souveraineté nationale, tout en essayant de ne pas s’attarder sur les interdépendances futures entre les deux pays. C’est là des compétences dont a fait preuve le négociateur algérien et qui ont conduit au succès des négociations et au recouvrement de l’indépendance de l’Algérie ».
M. Si Bachir a en outre souligné que le diplomate ou négociateur algérien « a agi, dans les différentes étapes des négociations, en s’inspirant de l’effet des équilibres militaires à l’intérieur de l’Algérie et en a fait le point de départ pour les revendications et la pression ».
« Les accords d’Evian constituent l’acte de naissance d’une Algérie indépendante, souveraine et décolonisée, ce qui a redonné vie à un Etat qui a vu sa naissance institutionnelle/juridique et politique avec l’allégeance à l’Emir Abdelkader », a-t-il ajouté.
Pour sa part, l’enseignant en sciences politiques et en relations internationales à l’université d’Alger, Redouane Bouhidel, il a estimé que la bataille diplomatique menée par la délégation algérienne à Evian, « était depuis une position de force que les négociateurs ont puisé du peuple et de sa volonté à une vie digne, ce qui a contraint la France à accepter la tenue des négociations et à se conformer à toutes les revendications ».
Il a souligné que les membres de la délégation algérienne ont fait montre d’intelligence, d’esprit chevronné et de renommée, à travers l’exercice effectif de leur lutte armée et politique et leur contact avec d’autres Etats, excellant ainsi en politique étrangère ».
Analysant les négociations d’Evian, l’enseignant spécialisé en histoire politique de l’Algérie durant la Guerre de libération nationale, Mohamed Rezig, a estimé que les négociations » ont été complètement imposées à la France par des hommes qu’elle traitait de tous les noms, mais elle fut contrainte à s’attabler avec eux autour d’une seule table, en dépit de nombreuses manœuvres pour imposer ses conditions ».
Ce recul est du, a-t-il affirmé, à » la force du négociateur algérien et à sa personnalité de fer », car, a-t-il expliqué, le terrain était en sa faveur et les armes ne s’étaient pas encore tues, ajoutant que l’écho de la Révolution s’est étendu au cœur même de la France, de même que la cause nationale a reçu un appui et un soutien international qui a contribué à isoler de la France coloniale, à la contraindre à négocier, à recourir à la solution politique par obligation et à reconnaitre l’Algérie indépendante ».