COMMEMORATION :59e anniversaire du double attentat de Tahtaha

Ce jour, le 28 février 1962 au mois de ramadhan, je ne l’oublierai jamais, il est gravé à jamais dans ma mémoire. Nous habitions Medina Djadida, au 03 rue Palas Oran. Aucun musulman à cette époque ne s’aventurait à descendre en ville sinon il peut dire à Dieu la vie, Bab el Djiara était la frontière c’est un espace tampon se trouvant sur le boulevard Josef Andrieu séparant le quartier des musulmans que nous sommes et le centre ville quartier européens.  Cette portion d’espace était contrôlée par les militaires français qui occupaient deux casernes se situant l’une en face de l’autre. Ces lieux militaires existent toujours mais ils ont d’autres vocations aujourd’hui, école d’hôtellerie si je m’abuse et centre de recrutement.  Cette frontière n’existait pas pour moi, je devais rejoindre mon école tous les jours que Dieu fait sauf pendant les vacances, cette établissement scolaire portait le nom de Ferdinand Bouisson, il est situé à Derb Lihoud, baptisé après l’indépendance du nom de l’illustre chahid Abane Ramdane. Pendant toute ma période de scolarisation, je sortais de chez moi tous les jours à 07h30 pour aller à l’école distante à peu prés d’un kilomètre, on commençait les cours à 08heures on terminait à 16h30. Je rentrais à la maison un peu tard et comment.  En passant par la mythique Tahtaha , on ne pouvait s’empêcher de déambuler ,on pouvait tout voir, toutes sortes de spectacles à ciel ouvert: les magiciens, les musiciens, les danseurs, les arracheurs de dents, les barbiers, les cafés bondés de monde, les soigneurs qui étalaient leurs herbes médicinales et qui essayaient d’épater et d’attirer la foule par des démonstrations de guérisons instantanés sur des personnes exhibant leurs souffrances , des complices sans doute, il me plaisait de voir ces charlatans haranguer la foule en criant à tue tête à qui veut les entendre , en vantant les vertus de ces produits miracles exposés à même le sol. Oui, je reviens 60 ans en arrière, que c’était beau Oran jadis. Avant d’arriver à Tahtaha, je devais passer obligatoirement par ce fameux endroit dit Bab El djiara. Un jour, un militaire français , un officier je pense je revois son image, un jeune très blanc de peau avec une ou deux étoiles qui ornaient ses épaules , il portait un béret , me voyant passer par là me héla , il a du certainement me remarquer , passer le matin et repasser le soir, et toi la bas me dit-il, d’où viens-tu? De l’école lui dis-je. J’avais un peu peur. Qu’est que tu fais à l’école? J’étudie monsieur lui dis-je. Qu’est qu’il y a dans ce cartable me dit-il? Des cahiers et des livres paradis,  lui dis-je. Ouvre le me dit-il? Peut être pensait-il que je transportais des documents ou des armes pour le FLN.

J’ouvrais mon cartable

il était méfiant, il a reculé d’un pas, près à tout. Quand il a vu les affaires scolaires, il était rassuré, je le voyais sur son visage, pour être plus sûr il m’a demandé de lui tendre un cahier qu’il prit dans ses mains, il le feuilleta, c’était le cahier de récitation et au hasard il prit une récitation il me demanda si je l’avais apprise, je lui dis oui, récite moi alors me dit-il? Je ne me souviens pas de son titre mais ça devait être une fable de La Fontaine, je la connaissais par coeur.il me récompensa en me donnant une tablette de chocolat et un paquet de chewing-gum qu’il ramena de son bureau de l’intérieur de la caserne. Enfant que j’étais, j’étais heureux, j’étais aux anges, la guerre, moi je ne comprenais beaucoup, oui je sais malgré mon jeune âge qu’en face de nous il y avait « el ascar » les militaires qui nous aimaient pas et de notre coté les moudjahidines, les fidas et les moussebilines qui nous défendaient, et que le peuple se battait conte le roumi pour arracher l’indépendance c’est déjà pas mal pour un enfant. Revenons à notre jeune officier français, je ne vous cache pas à partir de ce jour là pour avoir du chocolat et du chewing-gum, à la sortie de l’école, c’est moi qui le cherchait pour lui dire monsieur, monsieur j’ai appris telle ou telle récitation pour avoir en retour les bonbons, au point quand je me pointais à la caserne à 16h45 tapante le sentinelle savait ce qui m’amenait et c’est lui qui me montrait où se trouvait l’officier. Je vous rapporte aussi un autre fait réel qui me revient à la mémoire comme tous ce que je viens de rapporter avant de revenir à notre fameux 28 février 1962. Avec le temps le militaire français me donner des conseils comment réussir dans les études, il corrigeait les fautes de les devoirs mais ce que j’ai retenu le plus dans ma mémoire c’est qu’il me demandait de rentrer après les fameuses récitations directement chez moi et de ne pas traîner dans la rue. C’était impossible de ne pas profiter des spectrales qui s’offraient à la place Tahtaha. Un jour, il était peut être 17h, 17h30, je flânais encore en ville nouvelle je regardais ces vitrines alléchantes quand une patrouille de soldats dans un camion GMC devancé par une jeep s’arrêta devant moi à leur tête le fameux officier qui me demanda qu’est ce que je faisais là et pourtant m’avait-il dit je t’ai dit de ne pas trainer la patte et de rentrer chez toi, il me gronda me donna deux bonnes petites fessées, il m’a demandé où j’habitais , il me mit dans la jeep et me ramena chez moi. Depuis ce jour là j’ai pris peur, je sortais de l’école, je montrai mes devoirs, j’avais droit aux bonbons et puis je rentrais souvent directement chez moi, je ne pouvais pas m’empêcher parfois une petite ballade quand même, jusqu’au 28 février 1962 où tout s’arrêta.

Revenons à cette journée mémorable

Ce jour là, vers 16:00, j’étais encore en classe quand soudain retentissait un bruit sourd , très fort à déchirer les tympans, d’une extrême intensité , le maitre Mr Mazella s’arrêta d’écrire sur le tableau, tout le monde comprit que quelque chose de grave venait d’arriver, une bombe certainement venait d’exploser, moi le seul élève qui n’était pas français, j’étais loin d’imaginer que ça se passait à Tahtaha mon quartier chéri et que c’était une déflagration d’une bombe. Le monde se figea pour nous pendant quelques secondes, un silence de mort s’en suivra dans notre classe, on entendait les mouches volées, on se regardait les uns les autres. Puis le maitre continua son cours, à 16:30, je sortis de l’école pour aller à la maison, comme à l’habitué je devais emprunter Bd Joseph Andrieu l’actuel Bd de l’indépendance c’est à dire Tahtaha puis je devais passer par la rue Hadj Salah puis la rue du marché, j’ai oublié son nom, Med El Kebir, je pense, puis j’arrivais chez moi la rue Palas, mais Hélas arrivé à Bab el Djiara, c’était impossible de passer, les militaires avaient dressé des barricades, j’étais obligé de rebrousser chemin et d’essayer de rentrer dans mon quartier par une autre issue, je ne vous dis la peur de ma vie.  Je devais traverser le quartier français et je pouvais rencontrer à tout moment sur mon chemin les sanguinaires de l’OAS pour peu qu’ils reconnaissent que je ne suis pas des leurs et malgré mon jeune âge, à peine 10 ans, ça aurait été la fin pour moi. Tant bien que mal j’ai pu regagner ma maison, les adultes m’ont interdit d’aller voir ce qui s’est passé du côté du café de Boulahia, la voiture piégée qui en explosant a fait un carnage, on a rapporté des lambeaux de chair accrochés aux fils électriques, des murs maculés par des taches de champs, des corps sans têtes et sans membres, c’est l’horreur, tous les hommes et les femmes valides se sont mobilisés pour porter secours à leurs frères et sœurs, l’actuel dispensaire Ben Daoud était le lieu où étaient soignés les blessés, les gars du FLN qui étaient encore dans la clandestinité encadraient avec une organisation parfaite le déroulement des secours. La solidarité à l’époque n’était pas un vain mot. Par contre moi, je me suis dit que si la bombe a explosé entre 16:30 et 17h00 je ne serai certainement pas aujourd’hui de ce monde. En effet, j’aimais quand je sortais de l’école à 16h30 après mon passage à la caserne comme je l’ai dit plus haut à flâner quelque peu en regagnant mon domicile, à Tahtaha du coté où la bombe a explosé, qu’elle était belle Medina Djadida a l’époque, quartier de mon enfance, l’animation, les halakates surtout au mois de ramadan. Je m’excuse j’ai été peut être un peu long, mais je n’ai pu m’empêcher de partager avec vous ce souvenir terrible du 28 février 1962, je verse des larmes rien qu’en y pensant. Vous allez me dire qu’est ce qu’il est devenu ce jeune officier, je vous dirai que je ne sais pas, était-il vivant? Pourra-t-il lire ce récit? Je ne sais pas, se reconnaîtrait-il? Je ne sais pas.

Salah Lellou (Médecin Pneumologue à EHU Oran)

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